Anne Guillot, Diététicienne-nutritionniste
Pour fonctionner, l’organisme a besoin de glucides qui fournissent de l’énergie au cœur, aux muscles et aux cellules. Il en existe de deux types : les glucides complexes, dans les légumineuses, le riz, les pâtes et certains fruits et légumes comme la pomme de terre et la banane ; les glucides simples ou rapides, couramment appelés « sucres », à l’état naturel dans les fruits (sous forme de fructose) et les produits laitiers (lactose et galactose), ou ajoutés abondamment dans les produits industriels et en cuisine (saccharose, sirop de glucose-fructose, dextrose). Les « mauvais » sucres étant les sucres simples ajoutés.
Du sucre partout
Si le corps ne reçoit pas assez de sucre, gare à la chute de la glycémie (taux de sucre dans le sang), aux malaises et, à terme, aux conséquences sur certains organes, particulièrement le cerveau. Mais une alimentation équilibrée comprenant des céréales, des féculents ainsi que des fruits et des légumes, sans sodas, gâteaux, viennoiseries ni sucreries, et avec peu de sucre raffiné, en apporte suffisamment. Il n’est donc pas indispensable d’en ajouter. D’ailleurs, avant la découverte des betteraves sucrières qui a démocratisé l’usage du sucre, on s’en passait très bien ; le miel et les fruits suffisaient. En 1850, la consommation de sucre (de canne, importé) n’était que de 1 kg par personne et par an. De nos jours, elle est en moyenne de 35 kg par personne et par an, et les sucres simples représentent plus du quart de nos apports énergétiques (40 % même, d’après certaines études) alors qu’il est conseillé de ne pas dépasser 10 % ou, mieux, 5 % !
Le sucre est partout, y compris là où on ne s’attend pas à en trouver : pains de mie, soupes industrielles, charcuteries, conserves, etc. Parce qu’il est peu coûteux, il est utilisé comme conservateur ou exhausteur de goût, ou encore pour amplifier la couleur rose du jambon, par exemple.
Le sucre ne fait pas seulement grossir. Il favorise l’apparition du diabète de type 2, de la NASH, de problèmes cardiovasculaires et de toutes sortes de maladies, y compris certains cancers
Dangereux pour la santé
En France, 20 à 30 % des adultes et des adolescents ont des apports en sucres (hors lactose et galactose présents dans les produits laitiers) supérieurs à 100 g par jour, cette dose étant considérée comme celle à ne pas dépasser. Et c’est pire pour les enfants : 60 % des 8-12 ans sont au-delà de 75 g par jour, et 75 % des 4-7 ans en consomment quotidiennement plus de 60 g, des limites qu’ils ne devraient pas franchir. Plus sévère encore, « l’Organisation mondiale de la santé recommande un apport de sucres ajoutés de 50 g maximum pour un apport calorique total de 2 000 calories par jour chez les adultes », indique Anne Guillot, diététicienne-nutritionniste. On en est loin et c’est inquiétant car, à des doses trop élevées, le sucre est nocif pour la santé. À commencer par celle des dents : les bactéries qui se trouvent naturellement dans la bouche prolifèrent et produisent des composés acides qui attaquent l’émail, d’où les caries, puis les gencives. Il augmente aussi le risque de souffrir de toutes sortes de maladies. « Robert H. Lustig, un endocrinologue pédiatrique américain qui a longuement étudié les effets du sucre sur la santé, a identifié pas moins de 76 troubles associés à la surconsommation de sucre, qu’il a répartis en quatre catégories : élévation du risque de maladies cardiovasculaires, déséquilibre nutritionnel et carences, handicaps corporels, et modifications du comportement », rapporte la nutritionniste.
Faut-il y croire ? L’addiction aux sucres
Mieux vaut parler de dépendance à la saveur sucrée que de véritable addiction. En effet, on ne consomme pas de sucre en morceaux ou en poudre de manière compulsive pour compenser un manque ! Les produits sucrés procurent du plaisir, apaisent et incitent à en reprendre, mais le sucre n’est pas une drogue. Renoncer soudainement aux friandises ou aux gâteaux n’entraîne pas de syndrome de sevrage : angoisse, excitation, transpiration, maux d’estomac et de tête, douleurs…
Obésité et diabète
On a longtemps considéré les matières grasses comme les principales responsables de la prise de poids et de l’augmentation du tissu gras. Le 0 % et la cuisson vapeur apparaissaient donc comme « les » solutions pour maigrir. Il est vrai que 1 g de graisses (lipides) apporte 9 calories contre 4 « seulement » pour les sucres (glucides). Sauf que ce n’est pas si simple. On sait que l’excès de sucre dérègle le métabolisme et que le surplus de glucose est stocké sous forme de graisses, ce qui, à terme, conduit à une prise de poids et favorise l’apparition de diabète de type 2. À savoir que la hausse de ce diabète est même directement liée à la surconsommation de boissons sucrées. En revanche, « le diabète gestationnel, cause de complications pour la mère et l’enfant, n’est pas simplement dû à un trop-plein de sucreries au cours de la grossesse. Des modifications hormonales ainsi que l’âge (plus de 35 ans) jouent un grand rôle. Mais une prise de poids importante liée à la consommation excessive de sucres rapides favorise le diabète gestationnel. Le sucre est alors une cause indirecte. Mieux vaut avoir une alimentation équilibrée quand on est enceinte », explique la nutritionniste.
NASH, maladies cardiovasculaires, etc.
On sait que l’obésité et le diabète sont des facteurs aggravants des problèmes cardiovasculaires. En augmentant le taux de triglycérides (les lipides en circulation dans le sang) et de cholestérol, le sucre fait en effet le lit de l’hypertension artérielle, mais également des maladies du cœur et des vaisseaux.
Autre affection grave due à la surconsommation de sucre : la stéatose hépatique non alcoolique (NASH) encore appelée « stéatose hépatique métabolique ». Les graisses accumulées dues à l’afflux et à la transformation des glucides en excès – provenant en particulier des sodas, d’où l’appellation de « maladie du soda » –, se concentrent dans les cellules du foie et, à terme, créent une inflammation et des maladies hépatiques comme la NASH.
Les chercheurs pointent également des effets délétères à plus ou moins long terme dus au dérèglement du métabolisme – état inflammatoire chronique, acidification et modification du microbiote intestinal, entre autres –, tels qu’une fatigue, des problèmes digestifs, des douleurs articulaires, une moindre résistance aux infections, notamment.
Enfin, de nombreuses études ont montré que les sucres simples augmentent le risque de développer certains cancers (pancréas, œsophage, foie, sein, côlon, endomètre), lequel passerait par la prise de poids. Mais d’autres mécanismes semblent impliqués, en particulier la production importante d’insuline induite par l’excès de sucres simples.
Quid du fructose ?
À doses raisonnables, le fructose naturellement présent dans les fruits ne pose pas de problème. La plupart en contiennent moins de 3 g pour 100 g, et le raisin, le fruit le plus sucré, 8 g pour 100 g. 3 portions* par jour apportent moins de 15 g de fructose, très en dessous des quantités qui peuvent poser problème pour la santé. De plus, les fruits entiers apportent vitamines, minéraux, antioxydants et fibres. Ce que ne font pas le sucre raffiné et les sucres ajoutés dans les boissons et les aliments industriels.
* Par exemple, 1 portion = 1 pomme ou 1 orange, 3 abricots, 1/2 melon, 250 g de fraises ou de framboises, 15 cerises.
Si le goût sucré est inné, on peut éviter que les tout-petits ne développent une appétence excessive et, plus tard, deviennent obèses et diabétiques. Une vaste étude l’a montré en comparant les personnes conçues pendant et après les années de rationnement en sucre imposé aux Anglais en 1942 pendant la Seconde Guerre mondiale. Les bambins rationnés pendant leur vie utérine et les deux premières années de vie ont plus tard présenté un risque 35 % moins élevé de développer un diabète de type 2, et 20 % de souffrir d’hypertension par rapport à ceux conçus après la levée du rationnement (fin 1953) où la consommation de sucre a alors doublé. Conclusion : limiter le sucre durant la grossesse et les 1 000 premiers jours du bébé est bénéfique pour sa santé future.