Chiots et chatons « trop mignons » : la rançon du succès

Chiots et chatons « trop mignons » : la rançon du succès
Par
Publié le
Beaucoup craquent pour les chiens et les chats dont la tête est large et ronde, le museau court, la face plate avec de grands yeux et des petites oreilles. Une attirance qui n’est pas sans poser problème.

Des scientifiques ont démontré que ces caractéristiques anatomiques, évocatrices d’un visage enfantin, déclenchaient une envie de protection : l’animal est spontanément perçu comme un enfant dont il faut prendre soin. Et cela est encore plus net avec un chiot ou un chaton car ces traits physiques sont plus marqués.

Un succès pour de mauvaises raisons

Bouledogues français et anglais, boxer, Boston terrier, carlin, pékinois, épagneul King Charles, shih tzu, etc., sont des races canines dites « brachycéphales » car leur sélection a fixé des caractères morpho­logiques : crâne court (plus large que long), face plate et yeux globuleux. Les proportions de leur tête s’apparentent à celles d’un visage humain très juvénile. Le type brachycéphale ne concerne d’ailleurs pas que les chiens : le persan, le british shorthair et l’exotic shorthair, entre autres, sont des exemples de races félines répondant aux mêmes critères.

Les animaux qui ont conservé une tête ronde et une face plate à l’âge adulte inci­tent leurs propriétaires à « pouponner », ce qui renforce l’attachement et l’anthropomorphisme. Ils considèrent plus volontiers leur animal de compagnie comme un enfant que comme un compagnon.

Les chiens brachycéphales sont devenus très populaires dans de nombreux pays. Aux États-Unis, le succès du bouledogue français a par exemple progressé de 40 % en dix ans. Des éleveurs peu scrupuleux ont même volontairement accentué le type brachycéphale pour rendre leurs animaux encore plus attractifs. La sélection génétique a ainsi privilégié les individus avec un museau le plus court possible, en particulier chez les boule­dogues et les carlins. Un phénomène qui concerne également les chats persans dont le nez se situe parfois sur la même ligne que les yeux.

Trop de personnes, qui ne voient que le côté « mignon », ignorent que cet hypertype (exagération de traits morphologiques) a des conséquences sur la santé et le bien-être de ces animaux.

Attention aux importations illégales

Lorsqu’une réglementation très stricte est mise en place pour favoriser la santé des animaux et interdire la reproduction de types d’individus, on observe en parallèle une augmentation de l’importation illégale de chiots issus d’élevages qui échappent à tout contrôle et utilisent des reproducteurs qui semblent appartenir à une race donnée, mais qui ne sont pas conformés officiellement comme tels.

Des troubles respiratoires chroniques

Chez les animaux brachycéphales, le raccourcissement du nez a entraîné de nombreuses autres modifications de l’appareil respiratoire : les narines sont devenues très étroites, le palais mou s’est allongé, la trachée s’est aplatie, le larynx et les bronches ont tendance à s’affaisser, etc. Ces anomalies perturbent la respiration du chien comme du chat : ils ont tendance à ronfler, à produire des bruits respiratoires dès qu’ils s’excitent ou font de l’exercice – la plupart des chiens brachycéphales ne tolèrent pas l’effort – et à faire des apnées du sommeil.

Le comportement du chat étant différent de celui du chien, les propriétaires sont souvent moins conscients des troubles respiratoires chroniques pourtant présents chez leur animal.

Le syndrome respiratoire obstructif

Chez le chien, dans les cas extrêmes, on parle de « syndrome respiratoire obs­tructif » : il a du mal à s’oxygéner et sa pression sanguine en CO2 est plus élevée que chez les autres chiens. Comparativement à d’autres races, le risque de présenter des affections respiratoires est multiplié par 3,5 chez les bouledogues français et anglais, ainsi que chez le carlin. Et le risque de détresse respiratoire est augmenté s’il fait chaud, si le chien est en surpoids et s’il est stressé. D’ailleurs, certaines compagnies aériennes refusent de transporter des chiens brachycéphales.

Une solution chirurgicale ?

Quand ces troubles altèrent le bien-être de l’animal au quotidien, il est possible d’envisager une chirurgie pour faciliter la circulation de l’air dans les voies respiratoires supérieures. Cependant, cette intervention est risquée car les complications anesthésiques chez les brachycéphales sont pratiquement doublées par rapport aux autres races.

Une mise bas naturelle difficile

La sélection génétique sur la taille de la tête a également eu des répercussions sur la reproduction. Dans de nombreuses races canines brachycéphales, la mise bas naturelle est devenue presque impossible. Au Royaume-Uni, le pourcentage de naissances par césarienne dépasse 81 % chez le bouledogue français, 86 % chez le bouledogue anglais et 92 % chez le Boston terrier. Les instances cynophiles britanniques demandent désormais aux vétérinaires de déclarer les césariennes pratiquées, et les chiots issus de chiennes qui en ont subi plus de deux ne peuvent plus être inscrits au registre officiel des naissances au sein de la race.

Des problèmes oculaires

Chez les chiens et les chats brachycé­phales, les canaux lacrymaux qui relient le coin interne de l’œil aux cavités nasales sont plus étroits que chez les animaux à tête allongée ; ils se bouchent donc plus fréquemment. Les sécrétions lacrymales s’écoulent alors à l’extérieur, de chaque côté du chanfrein, et laissent des sillons brunâtres dans le pelage.

L’obstruction des canaux lacrymaux n’est pas seulement un problème esthétique. Sans nettoyage régulier, les sécrétions s’accumulent au coin des yeux et forment des croûtes en séchant, où les bactéries peu­vent se multiplier et contaminer les yeux. Les chiens et les chats à face courte sont donc souvent sujets aux conjonc­tivites. L’aspect globuleux de leurs yeux les prédispose également aux traumatismes oculaires et aux ulcères cornéens.

Les propriétaires s’attachent aux animaux malades

Si la santé des chiens et des chats hypertypés est menacée, force est de constater que la nécessité de protéger un animal « fragile » res­serre le lien avec le pro­priétaire. Des enquêtes ont ainsi montré que l’attachement à l’animal n’est pas contrarié par le fait que celui-ci soit malade, bien au contraire. Tout se passe comme si les soins rendus nécessaires par son état renforçaient cet attachement. Paradoxa­lement, les soucis occasionnés par la santé du chien n’empê­chent pas les propriétaires de vouloir reprendre un chien de la même race.

Des décisions contre la production de races brachycéphales

Dans de nombreux pays, les instances vétérinaires ont tiré la sonnette d’alarme sur les dangers qui menacent la santé des animaux brachycéphales. Il est désormais admis que la production de chiens hypertypés peut être assimilée à de la maltraitance différée. L’Association mondiale des vétérinaires spécialistes des petits animaux a déclaré que les animaux dont le type extrême affecte leur santé ou leur bien-être ne devraient pas être utilisés comme reproducteurs. Certains pays européens (Royaume-Uni, Pays-Bas, pays scandinaves, etc.) sont particulièrement proactifs dans la lutte contre ce type de sélection.

Les clubs de race ont pris conscience de la nécessité d’agir et des efforts de sélection sont entrepris pour réduire l’inci­dence du « syndrome brachycéphale ». Ainsi, les sujets hypertypés ne doivent plus être récompensés dans les concours pour éviter d’être ensuite utilisés pour la reproduction. Pour lutter contre les hypertypes, il est recommandé aux éleveurs d’avoir recours à des géniteurs aux qualités complémentaires. Le pool d’animaux reproducteurs doit donc être le plus large possible, ce qui représente le principal facteur limitant dans certaines races où la fréquence des ani­maux hypertypés rend difficile la sélection de reproducteurs sur des critères de santé très stricts.

Dissuader les acheteurs

Plusieurs pays ont pris des mesures pour freiner l’engouement pour les chiens et les chats brachycéphales hypertypés. Les acheteurs doivent être informés que la santé d’un animal est incompatible avec certains critères esthétiques extrêmes en vogue au sein des races brachycéphales. Certains pays ont par exemple interdit les annonces en ligne destinées à vendre ce type d’animaux, ainsi que les messages publicitaires et les campagnes de communication mettant en scène des hypertypes. L’Association vétérinaire britannique propose aussi des consultations pour les personnes désireuses d’adopter un chiot brachycéphale, et incite à la stérilisation des chiens à risque.

Interdire la possession d’animaux hypertypés ?

Les Pays-Bas seront probablement les premiers au monde à interdire la possession et l’exposition d’animaux hypertypés, même si les propriétaires pourront bien sûr les garder jusqu’à leur décès. Le centre d’expertise en génétique de la faculté vétérinaire d’Utrecht a actuellement pour mission de définir les caractéristiques morphologiques à prendre en compte pour la nouvelle législation.