Expérimentation, mésusage ou addiction ?

Expérimentation, mésusage ou addiction ?
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Tabac, alcool, cannabis ou encore jeu vidéo, est-ce toujours une addiction ? Un passage obligé à l’adolescence ? Exploration des frontières entre usage immodéré et dépendance, à l’âge des premières expériences.
 
Curiosité, prises de risque, rejet (ou au minimum affranchissement !) du lien parental au profit des relations avec les pairs : les conditions sont réunies à l’adolescence pour toutes les premières fois… Ils sont ainsi des millions à mettre le doigt ou, plutôt, leur cerveau dans l’engrenage. Pour qu’il y ait addiction, en effet, le cerveau doit y mettre du sien. Il est au cœur de la manœuvre.
 

Surdose n’est pas addiction

L’addiction est ainsi moins liée à la dose (nombre de verres d’alcool ou de cigarettes, etc.) qu’à la relation que l’on entretient avec sa « drogue ». Les « addictologues » considèrent donc que l’addiction est définie par la perte de contrôle (1, 2, puis 3, 4 verres), la répétition des comportements (pas forcément tous les jours) et les dommages induits : relationnels, médicaux et, au premier plan, cérébraux. On sait maintenant (grâce à l’IRM fonctionnelle qui trace les circuits en cause) que les molécules addictives activent le centre de récompense cérébral situé dans une zone très précise, les noyaux gris centraux. Là, sont stockées les expériences de plaisir. Dont le souvenir peut être ranimé à volonté et très vite, dès la première bouffée ou gorgée, provoquant de l’euphorie, puis une perte de contrôle. Pour chacune de ces « substances », alcool, tabac, cannabis, jeu vidéo, chocolat, on emploie, à tort et à travers, le mot « addiction » en cas de mésusage. Or, manger du chocolat, même souvent, même beaucoup, tient plutôt du plaisir récréatif. Avec les jeux vidéo, ce n’est pas une addiction non plus au sens médical dans la mesure où l’effet d’un mésusage sur la santé est négligeable, sauf dans quelques rares cas.  

Faits et… risques des addictions au tabac, à l’alcool, etc.

Le tabac, la drogue la plus quotidienne

Les faits : à 17 ans, 68,4 % des adolescents, garçons ou filles, ont déjà fait l’expérience du tabac. Un tiers fume régulièrement en raison de son pouvoir addictogène très élevé et ce, dès les premières cigarettes. Les risques : ce début de consommation précoce, avant 17 ans, multiplie par deux le risque de décès prématuré à 60 ans.  

Le cannabis, la plus consommée des substances interdites

Les faits : près de la moitié des ados en ont fumé. Un sur dix en prend au moins dix fois par mois. Un usage immodéré, en forte hausse ces dernières années, à l’image de ce qui se produit chez les adultes… Les risques : le cannabis cumule les toxicités, cérébrales d’une part (troubles de l’attention, mémoire de travail, planification, etc.) et pour la santé en général, comme pour les fumées de cigarette. D’autant qu’il est puissamment addictogène. Plus rare, mais plus grave, le risque de vulnérabilité accrue aux troubles psychiatriques, schizophrénie en tête.

L’alcool, la plus partagée des drogues légales

Les faits : 91 % des garçons et des filles l’ont expérimentée à la fin de l’adolescence, 12,3 % boivent régulièrement (plus de dix fois par mois). Les risques : les effets d’une alcoolisation massive et rapide à cette étape du développement sont connus. Ils associent des atteintes structurales et fonctionnelles avec un déficit cognitif plus marqué que chez l’adulte, les adolescents étant plus sensibles. L’initiation précoce (par rapport à l’adolescence tardive) double le risque d’alcoolodépendance sur la vie entière. Par ailleurs, une consommation rapide d’alcool détruit davantage les neurones et la substance blanche, le câblage.  

Aux parents désarmés…

Premier recours : le médecin de famille. Autre solution, les Consultations Jeunes Consommateurs* (400 CJC sur la France entière). Encore peu connues, elles accueillent gratuitement et confidentiellement les ados ou leur famille pour les informer et les aider à mobiliser leurs « ressources propres ».

Animées par des professionnels de l’adolescence et des addictions bien sûr, médecins, psychologues, etc., elles peuvent être un appoint précieux en cas de conflit ou de déni. Le sujet des addictions est souvent abordé en famille et la plupart des parents comme des ados estiment pouvoir « gérer » seuls. Si ce n’est pas le cas, ils trouveront dans ces consultations spécifiques des commencements de solutions pour démêler la pelote de l’addiction.

* Drogues Info Service, un dispositif d’information, d’orientation et d’aide, accessible par internet : www.drogues-info-service.fr, ou par téléphone au 0 800 23 13 13, 7 jours sur 7, de 8 heures à 2 heures, appel anonyme et gratuit d’un poste fixe (depuis un portable au coût d’une communication ordinaire au 01 70 23 13 13). On y trouve aussi un annuaire des CJC.
 

Réponses d'expert : Les dangers du déni de l’addiction

Pr LejoyeuxPr Michel Lejoyeux
Psychiatre et addictologue à l’hôpital Bichat-Beaujon (Paris)

Il faut arrêter de stigmatiser seulement les adolescents ! Les parents ont l’illusion que leurs ados les écoutent. Faux, ils les imitent. Or, les parents fument et boivent au moins autant qu’eux et un discours « tempérant » tenu la cigarette ou le verre à la main n’a aucune chance d’être entendu… Il est à mon avis impossible de traiter un ado addict si ses parents continuent à l’être. Cela dit, plus tôt on se préoccupe de cette addiction, meilleurs seront les résultats. Ce dont les addicts souffrent le plus, et les adolescents en particulier, c’est du déni. Mieux vaut ne pas se raconter d’histoire. Et une fois que l’on a mis un nom sur ce trouble du comportement, il doit être géré par le médecin de famille en priorité comme n’importe quel autre problème médical, une scoliose par exemple.
 

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